Ma démarche

Je commence un tableau sans image ni plan préalable que je chercherais à imposer sur la toile. Je me méfie de mes gestes automatiques accumulés au fil des ans autant que du fatras  d’images et de clichés vus consciemment ou non  qui se précipitent sur la toile blanche  avant même que j’ai commencé à peindre *.

Le seul moyen d’y échapper, c’est de m’abandonner au geste intuitif. Démarrer une toile en faisant le vide permet que mes décisions et mes choix se fassent en-dessous de la conscience et garantit que l’image qui émergera  lentement à la surface réponde à un authentique besoin de dire. Le plus souvent, ce qui ressort au départ de ce dispositif, c’est le chaos.

J’essaie de rester dans cet état de recherche et d’abandon aussi longtemps que possible,  sans m’y perdre. Pour dépasser ce chaos il me faut trouver une direction, parfois une trame, des répétitions ou des rythmes, que je peux explorer et moduler jusqu’à ce que surgissent  les formes.

La distinction abstrait-figuratif n’a pas de sens pour moi. J’évite la représentation sauf quand elle s’impose et ne veut pas me lâcher. 
Dans la série « rêves dessins, dessins rêves » où , sur une impulsion, j’avais commencé à dessiner avec un simple stylo, le dessin narratif s’est invité dès le début et avec obstination. J’ai dû l’accepter et l’explorer jusqu’au bout. La ligne tracée au stylo qui ne se laisse pas effacer finit au bout d’une longue errance par créer une image.

 Mais là encore, ce sont  le mouvement de la main sur la page,  les trajets dessinés par la ligne, les formes sous tension  qui m’intéressent. L’image est venue en quelque sorte malgré moi et la force de la narration  m’a entraînée dans un voyage intérieur  qui a duré des années, et m’a poussée jusque dans mes retranchements au plus profond de l’intime.
 
Plus généralement, ma démarche est un dialogue intérieur entre deux sensations contradictoires qui s’opposent, alternance du geste spontané et retenue et contrôle  dictés par les exigences picturales. Le geste est parfois rapide et spontané, parfois très lent jusqu’au laborieux, suivant  le format et les matériaux que j’utilise : acrylique, encres, pigments naturels, collages, simple contraste du noir et du blanc .

C’est le jeu avec la matière qui fait surgir sur le papier ou la toile des lieux visités ou imaginés, fragments du passé, émotions musicales ou écriture méditative autour du temps pictural et de  l’éphémère , autant de métaphores que j’explore et module  à l’intérieur d’un thème central, comme un danseur le ferait par la chorégraphie.
 
L’éclectisme de mon travail est  la conséquence logique de cette liberté gestuelle à laquelle je tiens. Le fil rouge me semble être une recherche opiniâtre pour passer de l’intériorité à la communication. Le contact avec l’intime, un.e autre que soi-même qui me nourrit dans la solitude de l’atelier, et le désir de  réveiller chez le spectateur ce même dévoilement agissant, une sensation du vivant en soi,  un regard qui le rend conscient de ce qui l’anime. 

DL  - février 2023   


* Gilles Deleuze  Sur la peinture   Cours donnés et enregistrés à l'Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis entre 1979 et 1987.